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DU BIEN ET DU MAL DE L’HOMME

suit que tout ce que nous disons de la fin de l’homme doit être fondé sur la conception de l’homme parfait[1] : or, comme il s’agit ici d’un pur être de raison (ens rationis), nous pouvons en connaître la fin, comme aussi ce qui est bien ou mal pour lui, puisque ce ne sont là que des modes de la pensée.

Pour arriver graduellement à la question, rappelons-nous que les émotions, les affections, les actions de notre âme naissent de nos pensées, et que nous avons divisé nos pensées en quatre espèces : 1o le ouï-dire ; 2o l’expérience ; 3o la foi ; 4o la connaissance claire.

Nous avons vu, en étudiant les effets de ces quatre degrés de connaissance, que la connaissance claire est la plus parfaite de toutes, puisque l’opinion nous induit souvent en erreur, et que la foi vraie n’est bonne que parce qu’elle est le chemin de la connaissance claire et qu’elle nous excite aux choses qui sont vraiment aimables ; de telle sorte que notre dernière fin, le principal objet de notre science, est la connaissance claire, qui est diverse selon la diversité des objets qui se présentent : meilleur est l’objet avec lequel elle s’unit, meilleure est la connaissance elle-même ; et ainsi, l’homme le plus parfait est celui qui s’unit à Dieu, le plus parfait des êtres, et qui jouit de lui.

Pour chercher ce qu’il y a de bon et de mal dans les passions, nous les étudierons donc séparément, et d’abord l’admiration, qui, née du préjugé et de l’ignorance, est une imperfection dans l’homme livré à cette passion ; je dis une imperfection, parce que l’admiration ne contient en soi aucun mal positif.

  1. Nous ne pouvons avoir d’aucune créature particulière une idée qui soit parfaite, car la perfection de cette idée (c’est-à-dire la question de savoir si elle est vraiment parfaite ou non) ne peut se déduire que d’une idée parfaite, générale, ou être de raison. (MS)