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DE L’ORIGINE DES PASSIONS DANS L’OPINION

Quant à la troisième espèce d’amour, celui qui naît des idées vraies, comme ce n’est pas ici le lieu d’en traiter[1], nous ajournerons cette question quant à présent.

La haine, qui est l’opposé absolu de l’amour, naît de l’erreur, qui à son tour vient de l’opinion ; par exemple, lorsque quelqu’un s’est persuadé que tel objet est bon et qu’un autre entreprend de le lui faire perdre, alors il s’élève dans le premier de la haine contre le second, ce qui n’aurait jamais lieu dans celui qui connaît le vrai bien, comme nous le montrerons plus loin. Car tout ce qui existe ou est pensé n’est que misère par rapport au bien véritable. Celui qui aime de telles misères ne mérite-t-il pas plus la compassion que la haine ? En outre, la haine vient encore du ouï-dire, comme nous le voyons chez les Turcs contre les chrétiens et les juifs, et chez les chrétiens contre les Turcs et les juifs. Car combien ces différentes sectes sont-elles réciproquement ignorantes de leurs religions et de leurs mœurs ?

Quant au désir, soit qu’il consiste, selon les uns, à chercher à obtenir ce que nous n’avons pas, ou, selon les autres, à conserver ce que nous avons[2], il est certain qu’il ne peut jamais naître ni se rencontrer chez personne que provoqué par la forme du bien. D’où il est évident que le désir (comme l’amour) naît aussi du premier mode de connaissance. Car l’homme qui entend dire d’une chose qu’elle est bonne éprouve pour elle du désir ; par exemple, le malade qui en-

  1. Nous ne parlons pas ici de l’amour, né des idées vraies, ou de la connaissance claire, parce qu’il ne doit rien à l’opinion. (Voy. plus loin, chap. XXII.) (MS)
  2. La première définition est la meilleure, car, aussitôt qu’on jouit d’une chose, le désir cesse ; et la passion de conserver la chose n’est pas un désir, mais plutôt une crainte de perdre la chose aimée. (MS)