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NOTICE SUR L’ÉTHIQUE.

sur des notions abstraites, qu’on s’est données comme on a voulu, qu’on rendra compte des choses qui nous importent réellement et qu’on apaisera l’inquiétude de l’âme ? L’entreprise paraît insensée ; beaucoup sont rebutés dès les premières pages et ferment le livre, leur mépris du philosophe et de la philosophie se traduit par quelque parole d’apparence modeste comme celle-ci : je n’y comprends rien ; c’est trop aride ; j’admire les spéculations abstraites, mais la capacité me manque pour m’y adonner. Ceux même qui poursuivent et achèvent la lecture, s’ils rendent meilleure justice à l’auteur, méconnaissent souvent la part, très grande cependant, faite par lui à l’intuition et ne sentent qu’après une longue étude, la merveilleuse intensité de vie non pas turbulente et égoïste, mais large, profonde et sereine qui est dans son livre[1].

Une introduction dans laquelle Spinoza eût indiqué son dessein et justifié par l’analyse approfondie des idées les plus communes, l’emploi qu’il fait des notions jugées abstraites par le lecteur non prévenu, une explication préalable des axiomes, par exemple de l’axiome 6 : une idée vraie doit s’accorder avec l’objet dont elle est l’idée[2], sans empêcher toute erreur d’interprétation, eussent incontestablement rendu plus aisée

  1. L’intelligence, on l’observera, ne suffit pas ici : suivant Renan (Discours prononcé à la Haye en 1877), Spinoza est un idéaliste étranger à l’idée de la vie et au sentiment de la réalité. Cf. II. Heine : « À la lecture de Spinoza on est saisi du même sentiment qu’à l’aspect de la grande nature dans son plus vivant repos : une forêt de pensées, hautes comme le ciel, dont la cime ondoyante se couvre de fleurs, tandis qu’elles poussent dans la terre éternelle des racines inébranlables ».
  2. Au sujet de l’idée vraie, voir Traité de la Réforme de l’Entendement, § 41 (vol. I, p. 256), et la note explicative relative à ce passage ; voir aussi Éthique, II, prop. 34 et 43 (avec le scolie).