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ajoutent à cela du vin et un peu de lard ou un peu de viande, dans les grandes circonstances.

Quand les pommes de terre et le fromage manquent, l’eau-de-vie fait les frais de l’alimentation. Femmes, enfants, toute la famille consomme. Et quelle eau-de-vie ! c’est un affreux produit germanique que les montagnards vont chercher au delà de la frontière au grand détriment du Trésor et de leur santé. Cette invasion permanente des alcools à bon marché est une véritable ruine pour cette population primitivement si forte et si robuste des montagnes.

« La mauvaise alimentation et l’usage immodéré d’eaux-de-vie nuisibles font, me dit encore M. le Dr Greuell, que la population ne possède plus la richesse de constitution qu’elle avait il y a 30 ou 40 ans. Il faudrait donc prêcher l’hygiène aux habitants et surtout (mais c’est là qu’est la plus grande difficulté) leur faire comprendre que les eaux-de-vie qu’ils boivent aujourd’hui altèrent leur santé d’abord, mais entraînent encore la dégénérescence de leurs descendants. De tous temps on a fait à Gérardmer une forte consommation d’eau-de-vie. Mais il y a 20 ans encore, cette eau-de-vie était de bonne qualité ; elle provenait de la distillation du vin quelquefois, de la distillation des marcs de raisin souvent. On ne connaissait pas alors les eaux-de-vie fournies par les alcools dédoublés des résidus de betteraves, de pommes de terre, de graines avariées, etc., et les buveurs de profession résistaient plus longtemps à l’intoxication alcoolique. »

Il y a quelques années, la quantité d’alcool absorbée s’élevait, pour la petite ville de Gérardmer[1], dans une année, à 1 032 hectolitres pour les hommes et à 15 000 litres pour les femmes ; et ce chiffre ne comprend que l’alcool qui a payé les droits. Depuis ces temps derniers, la consommation du vin a augmenté et celle de l’eau-de-vie a diminué.

À chaque pas on rencontre dans la montagne des débitants. C’est là qu’on se livre, surtout en hiver, à de véritables orgies. Hommes, femmes, sont attablés ; on boit de l’alcool, on mange du fromage, on joue jusqu’à ce que le sommeil et l’alcool appesantissent les yeux. Ces réunions durent parfois une partie de la nuit.

  1. Gérardmer compte environ 7 000 habitants disséminés sur 8 864 hectares de superficie, dont 5 622 hectares de forêts.