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depuis des siècles que la taille humaine s’abaisse et qu’on est moins fort qu’autrefois ; cependant le contraire est prouvé par les squelettes, les momies, les armures et l’expérience des voyageurs qui se sont trouvés en contact avec des races aborigènes.

Nous venons de signaler une cause d’erreur dont il faut tenir grand compte quand on cherche à se former une opinion sur les états sociaux passés et présents ; et la part à faire à l’erreur variera selon l’époque, l’objet des recherches et le témoin.

Outre la perversion du témoignage due à l’état subjectif des témoins en général, il y a encore les altérations provenant de cas spéciaux de subjectivité. Nous mettrons au premier rang ceux qui résultent des idées préconçues.

Pour commencer par les extrêmes, nous citerons d’abord les fanatiques, tels que les membres de la Société contre le tabac. Le compte-rendu du dernier meeting de cette société nous apprend que, « d’après le rapport, il faut imputer à l’usage du tabac les maladies de cœur, la paralysie, les cas d’aliénation mentale, ainsi que l’abaissement de la taille et la débilité croissante chez les individus des deux sexes. » Sans attacher plus d’importance qu’il ne convient à des exagérations aussi évidentes, il est surabondamment prouvé que, sans en avoir conscience, on altère presque toujours les faits pour les mettre d’accord avec ses théories favorites.

À l’origine de notre législation sur l’hygiène publique, un des chefs du service de santé, voulant démontrer la nécessité des mesures qu’il conseillait, établit une comparaison entre la proportion des décès dans un village salubre (c’était, si nous ne nous trompons, un village du Cumberland) et la proportion des décès à Londres. Il fit remarquer combien la différence était considérable et déclara qu’elle était due à des causes « qu’on pouvait prévenir, » — en d’autres termes, à des causes qu’une bonne administration supprimerait. Ce fonctionnaire ignorait que, dans l’un des cas, l’air était vicié par la quantité d’acide carbonique exhalée par près de trois millions d’âmes et leurs feux, inconvénient qui n’existait pas dans l’autre cas — il ignorait que les citadins sont forcément sédentaires et s’occupent généralement à