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Par conséquent, si une personne absolument ignorante de ce que nous appellerons, pour le moment, anthropologie (bien que le sens où l’on prend maintenant ce mot ne nous permette guère de l’employer ici), se fondant sur l’impossibilité de prévoir l’avenir d’un nouveau-né, vient nous déclarer qu’un enfant ne peut pas fournir la matière d’une science, cette personne tombera dans une erreur manifeste — et ce qui rendra son erreur frappante, c’est que nous n’avons qu’à jeter les yeux autour de nous pour observer combien il est différent d’expliquer un corps vivant, ou d’expliquer sa conduite et les événements qui se rapportent à lui.

Sans aucun doute, le lecteur aperçoit l’analogie. Ce que la biographie est à l’anthropologie, l’histoire, telle qu’on la comprend généralement, l’est à la science sociale. Il y a le même rapport entre la biographie vulgaire, se bornant à raconter les faits et gestes d’un homme, et l’exposé raisonné de l’évolution physique, intellectuelle, organique et fonctionnelle de ce même individu, qu’entre l’histoire qui enregistre les faits et gestes d’une nation et la science qui nous fait connaître les institutions régulatrices et opératives d’un peuple, et la manière dont il a acquis graduellement sa structure et ses fonctions. Si l’on se trompe en disant que la science de l’homme n’existe pas puisqu’on ne peut prévoir les événements de la vie, on ne se trompe pas moins en disant que la science sociale n’existe pas puisqu’il est impossible de prévoir les faits qui font la matière de l’histoire ordinaire.

Nous ne prétendons naturellement pas que l’analogie soit absolue entre un organisme individuel et un organisme social, et que la distinction que nous venons d’établir soit aussi nette dans un cas que dans l’autre. La structure et les fonctions de l’organisme social sont évidemment moins spécifiques, plus modifiables, plus dépendantes de conditions perpétuellement variables. Nous voulons dire seulement que dans les deux cas, derrière les phénomènes dont l’ensemble constitue la conduite, et qui ne fournissent pas la matière d’une science, se trouvent certains phénomènes vitaux susceptibles d’une coordination scientifique. De même que l’homme possède une structure et des fonctions qui lui permettent d’accomplir les actes enregistrés