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agrégat de ces hommes possédera des propriétés dérivées de celles des individus, et qui peuvent faire l’objet d’une science.


« Mais, objectera le lecteur, ne nous avez-vous pas dit plus haut que dans les sociétés les relations de cause à effet étaient d’une complication qui rendait souvent toute prévision impossible ? Ne nous avez-vous pas mis en garde contre la tendance qui nous porte à prendre étourdiment des mesures en vue de tel ou tel but, lorsque l’histoire nous prouve que les moyens mis en œuvre produisent presque toujours des résultats absolument imprévus ? Ne nous avez-nous pas cité des exemples d’événements majeurs amenés par des causes dont on aurait justement attendu l’effet contraire ? Comment peut-il donc y avoir une science sociale ? Louis-Napoléon n’a pas pu prévoir qu’en attaquant l’Allemagne pour l’empêcher de prendre de la cohésion, il faisait la chose du monde la plus propre à la consolider ; M. Thiers, il y a vingt-cinq ans, aurait traité de lunatique celui qui lui eût annoncé qu’un jour on ferait feu sur lui du haut de ses propres fortifications ; comment serait-il donc possible d’établir pour les phénomènes sociaux une classification scientifique ou quelque chose d’approchant ? »

L’objection que nous venons de formuler aussi fortement que nous l’avons pu se présente plus ou moins clairement à l’esprit de presque toutes les personnes auxquelles on propose d’étudier la sociologie d’après des méthodes scientifiques, avec l’espoir d’arriver à des résultats ayant une certitude scientifique. Avant d’y faire une réponse précise, je demande la permission de présenter une considération d’ordre général qui sera déjà une réponse.

La science de la mécanique est arrivée à un développement qui ne le cède qu’à celui des sciences purement abstraites. Nous ne prétendons pas qu’elle ait atteint la perfection mais elle s’en rapproche. On le voit à l’exactitude des prédictions que la rigueur de ses principes autorise de la part des astronomes, et les résultats qu’obtient un bon officier d’artillerie montrent que, dans son application aux mouvements qui ont lieu sur la terre, la mécanique comporte des prévisions très-précises. Prenons donc