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effets des motifs exceptionnels se trouvent perdus au milieu des effets de la masse des motifs ordinaires.

On peut ajouter une autre observation. M. Froude exagère l’antithèse dont il se prévaut en se faisant de la science une conception trop étroite. Il s’exprime comme s’il n’y avait d’autres sciences que les sciences exactes. Les prévisions scientifiques, qu’elles soient qualitatives ou quantitatives, n’ont pas toutes le même degré de précision ; bien que pour certaines classes de phénomènes les prévisions ne soient qu’approximatives, on ne peut pourtant pas dire qu’il n’existe pas une science de ces phénomènes ; dès qu’il y a prévision il y a science. Prenez par exemple la météorologie. On a vu courir le Derby au milieu d’un ouragan de neige, et on a quelquefois fait du feu en juillet ; mais ces anomalies ne nous empêchent pas d’être parfaitement certains que l’été prochain sera plus chaud que l’hiver passé. En automne, nos vents du sud-ouest pourront survenir plus ou moins tard, être violents ou modérés, continus ou intermittents, mais nous sommes sûrs qu’à cette époque de l’année il y aura prédominance des vents du sud-ouest. Il en est de même pour les relations de la pluie et du beau temps avec la quantité de vapeur qui existe dans l’air et avec le poids de la colonne atmosphérique ; on peut émettre à ce sujet des prédictions approximatives, bien qu’on n’en puisse faire d’absolument vraies. Donc, quand même il n’y aurait pas entre les phénomènes sociaux des relations plus précises que celles-là (et les plus importantes sont beaucoup plus précises), il y aurait encore une science sociale.

M. Froude prétend encore que les faits historiques ne fournissent pas la matière d’une science parce que « ils ne se répètent jamais ; » parce que « nous ne pouvons épier le retour d’un fait pour vérifier la valeur de nos conjectures. » Je ne veux pas opposer à cette assertion, l’assertion opposée qui a été souvent reproduite ; je ne veux pas répondre que les phénomènes historiques se répètent souvent ; mais je puis trouver une réplique satisfaisante tout en admettant que M. Froude a mis le doigt sur une des plus grandes difficultés de la science sociale, et en lui accordant que les phénomènes sociaux sont dans chaque cas bien différents de ce qu’ils ont été dans les cas précédents.