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voter et de se décider avant de voter, qu’il lui faut conclure de son mieux d’après les informations dont il dispose.

Cet argument contient une part de vérité mêlée à beaucoup d’apparence de vérité. C’est un produit du « Il faut faire quelque chose, » qui fait commettre tant de sottises aux individus et aux sociétés. Un désir charitable d’empêcher ou de réparer un mal pousse souvent à agir étourdiment. Une personne tombe : un passant la ramasse brusquement comme s’il y avait du danger à la laisser par terre — ce qui n’est pas — et qu’il n’y en eût point à la relever sans précaution. Plus les gens sont ignorants, plus ils ont foi aux panacées et plus ils insistent pour les faire adopter. Vous avez mal au côté, à la poitrine, au ventre ? Immédiatement, sans avoir fait une enquête sur la cause probable du mal, on vous recommandera instamment un remède infaillible, en ajoutant probablement que s’il ne fait pas de bien il ne peut pas faire de mal. Les esprits qui ne dépassent pas la moyenne ont conservé d’une manière étonnante la conception fétichiste, telle qu’elle se révélait clairement chez le domestique d’un de nos amis. Pris en flagrant délit de boire des restes de médecines, il expliqua que c’était dommage de perdre de si bons remèdes et que ce qui faisait du bien à son maître lui en ferait aussi. Mais à mesure qu’on s’éloigne de ces conceptions grossières des maladies et des remèdes pour entrer dans le domaine de la pathologie et de la thérapeutique, la prudence va en augmentant et il devient de plus en plus prouvé qu’on fait souvent du mal au lieu de bien. On peut observer ce contraste, non pas seulement en passant de l’ignorance populaire à l’instruction professionnelle, mais encore en passant de l’instruction professionnelle d’autrefois, à l’instruction professionnelle supérieure de notre époque. Le médecin d’aujourd’hui ne se demande pas tout d’abord comme son confrère d’un autre siècle : Vais-je le saigner, le purger ou le faire suer ? ou bien lui donnerai-je du mercure ? Il y a maintenant la question préliminaire ; faut-il un autre traitement qu’un bon régime ? Parmi les médecins d’aujourd’hui, plus le jugement est formé par l’étude, moins on cède à impulsion du « il faut faire quelque chose. »

N’est-il pas possible alors, n’est-il pas même probable,