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loi empêchent seules les hommes de se porter à des actes de violence contre leurs semblables ; certains faits devraient cependant nous conduire à modifier notre supposition. Les dettes dites d’honneur sont regardées comme plus sacrées que les dettes reconnues et sanctionnées par la loi ; à la Bourse, quelques notes au crayon sur les carnets de deux agents de change suffisent pour constater des transactions montant à des chiffres énormes, et ces contrats sont plus respectés que les conventions inscrites sur des parchemins scellés et paraphés.

Nous pourrions multiplier les exemples pour montrer que dans d’autres ordres de faits, les pensées et les sentiments de l’homme produisent des actes qui a priori auraient semblé très-improbables. Si, sortant de notre société et de notre temps, nous étudions l’enfance de notre race ou les races étrangères, nous trouvons à chaque pas que la nature humaine a produit des choses entièrement différentes de celles que nous lui supposons dans nos prophéties politiques.

Lequel d’entre nous, généralisant sa propre expérience de la vie journalière, aurait supposé que, pour être agréables à leurs divinités, des êtres humains resteraient plusieurs heures pendus par le dos à des crocs, ou tiendraient leurs mains fermées jusqu’à ce que les ongles eussent, pénétré dans les chairs, ou que pour visiter des reliques, ils parcourraient des centaines de lieues en roulant sur eux-mêmes ? Qui aurait cru à l’existence d’un sentiment public et de sentiments privés autorisant un condamné à mort à acheter un remplaçant ? C’est pourtant ce qui se passe en Chine, où la famille du remplaçant touche la somme convenue.

Ou bien, — pour prendre des faits historiques qui nous touchent de plus près — qui se serait jamais douté que la croyance au purgatoire et à l’intercession des prêtres ferait tomber toute une moitié de l’Angleterre dans les mains de l’Église ? Qui aurait prévu que par suite d’un vice de la loi de mainmorte, des propriétés entières seraient consacrées et léguées sous le nom de cimetière ? À qui serait-il venu dans l’esprit que des rois voleurs de grand chemin, des barons brigands et des vassaux dignes de leurs maîtres,