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conditions fournies par nos propres idées et nos propres sentiments, nous devons nous tenir en garde contre les erreurs qu’engendrera cette nécessité, — faire de notre mieux, en tirant nos conclusions, la part de ces erreurs. En second lieu, il faut nous défier de deux idées contraires, mais également reçues, relatives à l’homme, et des erreurs sociologiques qu’elles engendrent ; l’une est que la nature humaine ne peut pas se modifier et l’autre qu’elle se peut modifier aisément. Débarrassés de ces préjugés, nous nous familiariserons avec l’idée d’une nature humaine que la discipline sociale change lentement, à mesure que les générations se succèdent. Une autre difficulté que personne ne surmontera entièrement et que bien peu surmonteront en partie, provient du défaut de facultés intellectuelles assez complexes pour embrasser dans toute leur infinie complexité les phénomènes dont s’occupe la sociologie. Pour concevoir parfaitement un fait sociologique, considéré comme partie constitutive de la science sociale, il est indispensable d’avoir tous ses facteurs essentiels présents à l’esprit ; et jusqu’à présent, on n’est pas arrivé à les avoir tous en tête, avec leurs proportions respectives et leurs combinaisons mutuelles, avec un degré de netteté suffisant. Après cette difficulté, qu’on ne peut vaincre que partiellement, en vient une autre moins redoutable ; il s’agit d’élargir la capacité de conception, jusqu’à ce que l’individu puisse admettre les combinaisons infiniment variées et extrêmement différentes des phénomènes sociaux. L’expérience de la vie sociale contemporaine nous a donné une grande rigidité de conception il faut travailler à assouplir notre esprit, à lui donner une plasticité qui lui permette de s’ouvrir facilement et d’accepter comme choses naturelles d’innombrables combinaisons de phénomènes sociaux, entièrement nouvelles pour nous, parfois même absolument contraires à celles qui nous sont familières. Faute de cette plasticité, on ne peut comprendre convenablement les états sociaux, parents du nôtre, coexistant avec lui, encore moins les états sociaux disparus, ou les états sociaux des races étrangères à la nôtre, tant civilisées que barbares.