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corps inorganiques ; il est même reconnu que tous les actes de l’intelligence correspondent à des modifications du cerveau. Le corollaire nécessaire de ces deux propositions est que tous les actes qui s’accomplissent dans la société sont les effets d’énergies antérieurement existantes, qui disparaissent en les produisant, tandis qu’eux-mêmes deviennent à leur tour des énergies en acte ou en puissance d’où surgiront des actions postérieures. — Il est étrange qu’on ne soit pas arrivé à comprendre qu’il faut étudier ces phénomènes d’ordre supérieur comme on a étudié les phénomènes d’ordre inférieur — non certes par les mêmes méthodes pratiques, mais d’après les mêmes principes. Cependant, les hommes de science eux-mêmes montrent rarement qu’ils ont conscience de cette vérité.

Un mathématicien, qui accepte ou qui repousse les vues du Professeur Tait sur la valeur des quaternions dans les recherches relatives à la physique, ouvrirait de grands yeux si une personne dépourvue de toute instruction mathématique venait exprimer une opinion arrêtée sur la question. Prenons un autre exemple : Helmholtz soutient qu’on peut concevoir des êtres hypothétiques, occupant un espace de deux dimensions et construits de telle sorte que pour eux les axiomes de notre géométrie seraient faux ; un mathématicien s’étonnerait à bon droit que cette hypothèse fût niée ou affirmée par un homme qui ne connaît les propriétés de l’espace que par ses rapports quotidiens avec les objets qui l’entourent, et les principes du raisonnement que par le cours de ses affaires. Pourtant, si nous prenons ces membres de la Société Mathématique qui se sont voués à la recherche des lois de la quantité, qui savent que, toutes simples qu’elles soient au fond, il faut toute une vie d’études pour les connaître a fond, — et si nous leur demandons leur opinion individuelle sur un point de politique sociale, ils répondront avec une promptitude supposant que dans ces questions, où les facteurs des phénomènes sont si nombreux et si complexes, un examen superficiel des hommes et des choses suffit pour porter des jugements sérieux.

Pour mieux faire ressortir la différence qui sépare le mode de raisonnement employé par l’homme de science dans son propre domaine et celui qu’il regarde comme suffisant quand