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avait-il laissé entrer quelqu’un ? L’apôtre commença par éluder la question, mais il fallut confesser qu’il avait laissé entrer quelqu’un, une seule personne — un pauvre diable de tailleur boiteux. On appela le tailleur, et on lui demanda ce qu’il avait fait du tabouret. Quand il l’eut raconté, Dieu lui dit : « Si je jugeais comme toi, coquin, combien de temps crois-tu que toi tu l’aurais échappé ? Il y a longtemps qu’il ne me resterait plus un siège ni même une pelle — j’aurais tout jeté aux pécheurs[1]… »

Ces exemples, choisis entre mille, montrent, dans quelle large mesure peuvent varier les phénomènes sociaux. Quand on pense que des idées théologiques qui ne nous paraissent, à nous, guère plus raffinées que celles du sauvage, coexistaient (en Angleterre) avec notre constitution politique actuelle ; avec un corps de lois, un système d’impôts assis régulièrement, une classe ouvrière émancipée, une organisation industrielle très-complexe, l’intelligence générale et la confiance mutuelle qu’impliquent des coopérations sociales si étendues et si compliquées — on sent qu’il y a un infiniment plus grand nombre de combinaisons possibles qu’on n’est naturellement porté à le supposer. On comprend la nécessité d’élargir considérablement ces idées mères si arrêtées, qui proviennent de l’observation quotidienne de ce qui se passe et de qui existe autour de nous.

Nous pourrions vraiment, même en étant limités aux témoignages fournis par notre propre société dans le temps présent, augmenter considérablement la plasticité de nos conceptions. Il s’agirait pour cela de voir les faits tels qu’ils sont. Si nous pouvions en tant que nation, de même qu’en tant qu’individus, « nous voir comme les autres nous voient, » nous trouverions, en Angleterre même, assez de contradictions apparentes pour nous convaincre qu’il n’existe aucune connexion nécessaire entre des actions qui nous paraissent forcément connexes. Nos propres institutions, les livres, les journaux, les débats des Chambres nous appren-

  1. Kinder und Hausmârchen, par William et James Grimm. Grand édition (1870), pp. 140-2.