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Remarquez maintenant la difficulté contraire, que très-peu de nos politiques ou de nos philanthropes semblent en état de surmonter — la difficulté de comprendre que la nature humaine, tout en étant indéfiniment modifiable, ne peut se modifier que très-lentement et que par conséquent toutes les lois, toutes les institutions, tous les systèmes qui prétendront l’améliorer considérablement à courte échéance, manqueront infailliblement leur effet. Parcourons les programmes de toutes les sociétés, sectes et écoles quelconques, depuis les Conventionnels, disciples de Rousseau, jusqu’aux membres de l’Alliance du Royaume-Uni, depuis les partisans de la propagande ultramontaine jusqu’aux avocats enthousiastes de l’éducation exclusivement laïque ; nous retrouvons chez tous un trait commun. Partout règne la conviction qu’il suffit d’adopter tel ou tel système d’enseignement ou de discipline, tel ou tel mode de répression ou d’éducation, pour améliorer considérablement l’état social. Tantôt cette idée est formellement énoncée, tantôt elle est implicitement admise comme allant de soi. L’un nous dit « Il est indispensable de façonner complètement à nouveau le peuple qu’on souhaite de rendre libre : » cette théorie implique que façonner à nouveau un peuple est chose faisable. Pour un autre, il est incontestable que des enfants à qui l’on a enseigné ce qu’ils ont à faire pour être bons citoyens, deviendront bons citoyens. Un troisième tiendra pour vérité indiscutable que si la loi supprime les tentations de boire, non-seulement les gens ne boiront plus, mais encore ne commettront plus de crimes. Ce que ces espérances ont de trompeur est pourtant assez visible pour quiconque ne se laisse pas éblouir par des hypothèses ou emporter par l’enthousiasme. On a souvent fait remarquer aux fanatiques de la tempérance, que la moyenne des crimes est plus élevée chez quelques-unes des nations de l’Europe les moins adonnées à l’ivrognerie, qu’elle ne l’est chez nous. Ce seul fait devait leur démontrer que les mesures restrictives qu’ils rêvent n’amèneraient pas la moralisation subite de l’Angleterre. Une autre superstition dont la statistique s’est chargée depuis longtemps de faire justice[1], c’est que des leçons apprises

  1. Summary of the moral statistics of England and Wales, par Joseph Fletcher, Esq., inspecteur des écoles de Sa Majesté.