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sur les erreurs amenées par certains états mentaux qui paraîtraient de même incompatibles et qui cependant sont en général coexistants. Nous voulons parler d’une idée que nous retrouvions ce matin même dans le premier de nos journaux, « Plus on étudie l’histoire, plus on découvre que l’homme est toujours le même, » et de l’idée diamétralement opposée dont les partis politiques sont pour ainsi dire l’incarnation : il est facile de changer la nature humaine. Ces deux croyances, qui au lieu de se détruire réciproquement subsistent concurremment, produisent deux sortes d’erreurs dans les spéculations sociologiques ; et on n’obtiendra en sociologie rien qui ressemble à des conclusions correctes, jusqu’à ce qu’on ait fait table rase de l’une comme de l’autre opinion pour les remplacer par une idée qui en est la conciliation : la nature humaine est indéfiniment modifiable, mais elle ne peut se modifier que lentement. Nous allons jeter un coup d’œil sur les erreurs auxquelles conduisent les deux opinions dont il vient d’être question.

Tant que l’on a cru les étoiles immobiles et les montagnes éternelles, il n’y avait rien de choquant dans l’idée que l’homme traverse les siècles sans changer. Mais maintenant, sachant que toutes les étoiles marchent et que les montagnes ne sont nullement éternelles, ayant découvert que le changement perpétuel est la loi de l’Univers, il serait grand temps de rayer de la liste de nos conceptions sociales cette trop grossière conception de la nature humaine — ou pour mieux dire, il est temps qu’on voie disparaître à la suite de cette conception la foule de notions étroites sur le passé et l’avenir de la société auxquelles elle a donné naissance, et qui survivent à la ruine de ce qui leur servait de base. Combien, qu’ils l’avouent ou non, pensent encore que le cœur de l’homme est aussi « profondément pervers » qu’il l’a jamais été et que l’état de la société ne différera guère dans un temps à venir de ce qu’il est actuellement. Si à force d’accumuler les témoignages, nous les contraignons de reconnaître, en dépit de leur répugnance, que les aborigènes, troglodytes ou autres, n’étaient pas tout à fait semblables aux hommes de l’époque féodale ; que ceux-ci à leur tour, à en juger par les usages, les idées et les sentiments de leur époque, différaient d’une manière appré-