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que sur quelques années ou sur quelques générations.

En effet ces mouvements, les plus compliqués de tous, présentent une difficulté à laquelle tous les autres mouvements n’ont rien d’analogue ; ceux qui se rapportent à l’évolution individuelle offrent seuls quelque chose d’approchant. Chaque facteur, outre qu’il modifie le mouvement d’une façon immédiate, le modifie d’une façon médiate, en changeant l’intensité et la direction de tous les autres facteurs. Une influence nouvellement mise en jeu dans une société n’agit pas seulement directement sur les actions des membres de cette société, mais aussi indirectement sur leur caractère. En continuant de génération en génération à modifier les caractères, cette influence altère par l’action de l’hérédité les sentiments que chacun apporte dans la vie sociale, d’où il résulte qu’elle altère aussi l’intensité et la nature de toutes les autres influences qui agissent sur la société. En apportant lentement des modifications à la nature même des hommes, elle met en jeu des forces multiples dont l’intensité et la direction échappent au calcul, et qui, agissant sans tenir aucun compte du point de départ, peuvent produire des effets absolument opposés à ceux qu’on eût attendus de l’influence originaire.

Pour mettre dans tout son jour cette difficulté objective et pour montrer plus clairement encore combien il importe de prendre pour données des conclusions sociologiques, non pas les conséquences passagères, mais les conséquences qui emploient des siècles à se produire ou dont on peut suivre la trace à travers la civilisation tout entière, nous allons tirer un enseignement d’une circonstance qui se retrouve chez les agents régulateurs de toutes les nations.

La signification primitive des sacrifices humains est assez claire par elle-même. Elle le devient tout à fait si l’on remarque que dans les contrées où fleurit encore le cannibalisme et où les principaux consommateurs de chair humaine sont les chefs, ces chefs, auxquels on donne l’apothéose après leur vie, sont censés se nourrir dans l’autre monde des âmes des morts : — car les âmes sont regardées comme une sorte de duplicata aussi matériel que le corps auquel elles appartiennent. Si quelque doute pouvait sub-