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folles. « Cela fait aller le commerce, » répètent-ils, convaincus qu’ils ont tout dit. C’est à peine si l’idée fausse que tout ce qui fait travailler est utile commence à perdre du terrain : on ne tient point compte de la valeur que peuvent avoir les produits du travail pour un emploi ultérieur ; on ne se demande pas ce qui serait arrivé si le capital affecté à ce travail s’était détourné dans un canal différent pour aller rémunérer un autre travail. Ni critique ni raisonnement ne modifient sensiblement ces idées. À chaque occasion, elles s’affirment avec une assurance imperturbable.

Ces sortes d’erreurs en entraînent nombre d’autres. Des gens qui trouvent si simples les relations existant entre la dépense et la production, jugent naturellement fort simples aussi les relations qui existent entre les autres phénomènes sociaux ? Y a-t-il de la misère quelque part ? Ces gens supposent qu’il suffit de faire une souscription pour la soulager. D’un côté ils ne suivent jamais la réaction que les donations charitables produisent sur l’encaisse des banques, sur les capitaux inoccupés que les banquiers tiennent à la disposition des emprunteurs, sur l’activité productrice que le capital distrait aurait donné, sur le nombre de travailleurs qui auraient ainsi reçu des salaires et qui n’en auront pas ; ils ne voient pas qu’on a ôté certains objets de première nécessité à un homme qui les aurait échangés contre un travail utile, pour les donner à un autre qui se refuse peut-être opiniâtrement à travailler. D’un autre côté ils ne voient pas plus loin que l’adoucissement immédiat d’une misère. Ils ferment volontairement les yeux, pour ne pas reconnaître que l’augmentation des ressources affectées à ceux qui vivent sans travailler entraîne une augmentation proportionnelle du nombre de ces parasites, et qu’à mesure que le chiffre des aumônes grossit, on entend grandir aussi continuellement une clameur de détresse qui demande plus d’aumônes. De même pour leurs idées politiques. Ils ne voient que la cause prochaine et le résultat prochain ; c’est à peine s’ils soupçonnent que les causes réelles sont souvent nombreuses et très-différentes de la cause apparente, et que le résultat immédiat se ramifiera à l’infini en un nombre prodigieux de résultats éloignés presque tous incalculables.

Des esprits chez lesquels les conceptions des actions