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Ce qui fait avant tout leur talent surhumain,
C’est d’aller vers leur but, en suivant leur chemin ;
Ils pleurent leurs tourments comme ils chantent leurs joies,
Et s’ils peignent des dieux si beaux, c’est qu’ils les voient !…
Je songe alors : Pourquoi ne pas faire comme eux ?
Ils aiment leur azur ; aimons nos ciels brumeux ;
Et si notre soleil darde moins de rayons,
Qu’importe ! Peignons-le tel que nous le voyons !
Ah ! ce n’est pas possible à celui qui s’exile ;
Mais cela me paraît si simple, si facile,
Pour l’artiste qui peint dans son pays natal !…

Jean a levé la tête ; il écoute ; Kaatje, alors, hésite un peu,
mais continue pourtant.

… Je me trompe bien sûr… Je dis cela bien mal…
Car je divertirais mon esprit et mes yeux
Des combats des titans et des festins des dieux,
Et je rapporterais du voyage de Rome,
L’orgueil d’avoir aimé l’œuvre de ses grands hommes !
Mais au lieu d’imiter leurs tableaux grandioses,
Si je peignais alors, ce serait d’autres choses.
Puisqu’on ne peut livrer son âme tout entière,
Qu’à celles qu’on connaît, qui lui sont familières,
Qu’on a là, dans sa vie, et qui, tant on les aime,
Donnent l’impression d’être un peu de soi-même !
Simples, telles que chaque aurore les éveille,
Elles m’enchanteraient sans fin de leurs merveilles ;
Mes yeux leur souriraient ; toutes en seraient dignes.
Je connaîtrais si bien leurs couleurs et leurs lignes,