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En effet, les novateurs, partis à la fois de la liberté singulière promulguée par Banville et des ressources de la prose vantées par Baudelaire, ne s’apercevaient point, d’un côté—qu’ils ne détruisaient pas la théorie, à cette époque triomphante, des naturalistes (après Flaubert et avec l’ « écriture artiste » des Goncourt) de la prose maîtresse de tous les modes d’expression ; d’un autre côté, — qu’ils laissaient entière la force de résistance, après huit siècles de preuves souvent superbes, du vers classique.

Il s’agissait de démontrer : i° que la résistance d’un alexandrin immobile n’était qu’une apparence, qu’en réalité sa vie séculaire était due à une évolution organique constante, qui aboutissait au vers verlainien, dont les progrès étaient très imparfaitement reconnus à cette date comme de simples libertés, qu’ainsi le développement du vers verlainien par le vers libre était un travail même de l’organe classique ; 2° que la prose, en dépit de tous ses efforts, restait virtuelle ; 30 que cette virtualité pouvait être vaincue par levers libre ne perdant rien des modes évolutifs de l’alexandrin.

Or, des trois poètes qui se distinguaient alors par l’emploi chacun d’un vers libre personnel, M. Gustave Kahn, M. Jean Moréas, M. Francis Vielé-Griffin, le premier procédait par suites harmoniques plutôt que métriques et rythmiques, le second par allongements métriques et enjambements plutôt visuels, le troisième par suites de rythmes, à l’exclusion de presque tout mètre. Tous les trois réalisaient ce qu’on a bien voulu dénommer après nous des laisses rythmiques, coupées de strophes en séquences, insuffisantes à prévenir les prétentions de la prose « artiste ».

Ils l’ont si bien reconnu que M. Moréas doit sans doute pour une bonne part à son procédé, le moins rationnel des trois, de n’avoir pu retrouver l’ordre que dans un repos strict, et il suffit de comparer Le Livre d’Images aux Palais nomades et La Clarté de Vie ou Amour sacré au Porcher pour savoir comment cet ordre a été établi dans le vers libre définitivement constitué.