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ont suffi pour m’attirer leur confiance ; au bout de quelques minutes je savais toute leur histoire.

Ce sont deux pauvres filles restées orphelines à quinze ans et qui, depuis, ont vécu comme vivent les femmes qui travaillent, d’économie et de privations. Fabriquant depuis vingt ou trente ans des agrafes pour la même maison, elles ont vu dix maîtres s’y succéder et s’enrichir, sans que rien ait changé dans leur sort. Elles habitent toujours la même chambre, au fond d’une de ces impasses de la rue Saint-Denis où l’air et le soleil sont inconnus. Elles se mettent au travail avant le jour, le prolongent après la nuit, et voient les années se joindre aux années sans que leur vie ait été marquée par aucun autre événement que l’office du dimanche, une promenade ou une maladie.

La plus jeune de ces dignes ouvrières a quarante ans et obéit à sa sœur comme elle le faisait toute petite. L’aînée la surveille, la soigne et la gronde une tendresse maternelle. Au premier instant on rit, puis on ne peut s’empêcher de trouver quelque chose de touchant dans ces deux enfants en