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voici le plaisir que je me suis donné pour mon carnaval.

— Mais si cette toile est véritablement si précieuse, ai-je répondu, elle doit avoir un haut prix.

— Eh ! eh ! a dit M. Antoine, d’un ton de nonchalance orgueilleuse, dans un bon temps et avec un bon amateur, cela peut valoir quelque chose comme vingt mille francs.

J’ai fait un soubresaut en arrière.

— Et vous l’avez acheté ? me suis-je écrié.

— Pour rien, a-t-il répondu, en baissant la voix ; ces brocanteurs sont des ânes : le mien a pris ceci pour une copie d’élève… il me l’a laissé à cinquante louis payés comptant ! ce matin, je les lui ai apportés, et maintenant il voudrait en vain se dédire.

— Ce matin ! ai-je répété, en reportant involontairement mes regards sur la lettre de refus que M. Antoine m’avait fait écrire à la veuve de son fils, et qui était encore sur la petite table.

Il n’a point pris garde à mon exclamation, et a continué à contempler l’œuvre de Jordaens, dans une sorte d’extase.