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… La feuille de papier Bath est devant moi ; j’ai trempé ma plume dans l’encrier, et je me gratte le front pour provoquer l’éruption des idées quand je m’aperçois que mon dictionnaire me manque. Or, un Parisien qui veut parler anglais sans dictionnaire ressemble au nourrisson dont on a détaché les lisières ; le sol tremble sous lui, et il trébuche au premier pas. Je cours donc chez le relieur auquel a été confié mon Johnson ; il demeure précisément sur le carré.

La porte est entr’ouverte. J’entends de sourdes plaintes ; j’entre sans frapper, et j’aperçois l’ouvrier devant le lit de son compagnon de chambrée ; ce dernier a une fièvre violente et du délire. Pierre le regarde d’un air de mauvaise humeur embarrassée. J’apprends de lui que son pays n’a pu se lever le matin, et que, depuis, il s’est trouvé plus mal, d’heure en heure.

Je demande si on a fait venir un médecin.

— Ah bien, oui ! répond Pierre brusquement ; faudrait avoir pour ça de l’argent de poche, et le pays n’a que des dettes pour économies.