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aujourd’hui ménage ta peau ! Mais ce mot Français ! grondait alors en moi, et je courais au secours de la brigade. D’autres fois, quand la faim, le froid, les blessures m’avaient agacé les nerfs, et que j’arrivais chez quelque meinherr maussade, il me prenait bien une démangeaison d’éreinter l’hôte et de brûler la baraque ; mais je me disais tout bas : Français ! et ce nom-là ne pouvait rimer ni avec incendiaire, ni avec meurtrier. J’ai traversé ainsi les royaumes de l’est à l’ouest et du nord au midi, toujours occupé de ne pas faire affront au drapeau. Le lieutenant, voyez-vous, m’avait appris un mot magique : La Patrie ! Il ne s’agissait pas seulement de la défendre, il fallait l’agrandir et la faire aimer.

17 octobre. — J’ai fait aujourd’hui une longue visite chez mon voisin. Un mot prononcé au hasard a amené une nouvelle confidence.

Je lui demandais si les deux membres dont il était privé avaient été perdus à la même bataille.

— Non pas, non pas, m’a-t-il répondu : le canon ne m’avait pris que la jambe, ce sont les carrières de Clamart qui m’ont mangé le bras.