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bois, ou courant avec sa chèvre docile dans les herbes fleuries ; puis la pensionnaire déjà découronnée des grâces du premier âge, sans que celles du second fussent encore écloses ; enfin, la grande et belle jeune fille qui s’arrêtait rêveuse aux bords de la vie, comme devant une mer sans limites ! Que de secrets arrachés à cette rêverie ! que de traces de larmes découvertes sous un baiser ! que de consolations données et reçues ! Charmant retour d’émotions oubliées ! douce reprise du roman de la jeunesse qu’une autre recommence sous l’abri de notre amour ! Qu’importe que la vie décline en nous, si elle renaît dans notre second nous-même ! Qui hérite de notre sang et de notre âme, ne doit-il pas hériter de notre bonheur ? Laisse le soleil à qui vient prendre ta place dans la vie. Qu’elle soit heureuse, la fille que tu as nourrie et formée, heureuse sans toi, heureuse par un autre ! Dans la succession des êtres, hélas ! l’ingratitude est la dette héréditaire ; nos pères sont vengés par nos enfants ! Eh bien, accepte la nouvelle place qui t’est donnée, tu étais la reine de cette destinée, sois-en l’esclave dévouée. Veille sans qu’on le sache, donne sans jamais demander, persiste à être la mère de celle qui n’est plus ta fille. Tu seras encore heureuse, si elle peut l’être, car le bonheur de ceux que nous aimons est comme l’encens qui s’élève à l’autel ; on ne le brûle point pour nous, mais nous en partageons le parfum !

Puis, toutes les joies de la maternité ne renaîtront-elles point pour toi avec les fils de ta fille ? Ouvre les bras, approche leurs têtes blondes de tes cheveux blancs, et tu entendras encore ces douces voix qui retentissent jusqu’au fond des entrailles de la femme ; tu sentiras encore sur tes joues ridées ces petites mains qui appellent les baisers ; tu verras ces yeux vagues et doux, au fond desquels on peut tout lire.