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son vol vers une sorte d’avenue formée par les cheminées des plus hauts édifices. C’était le bois de Boulogne de Sans-Pair, et toute l’aristocratie élégante s’y donnait rendez-vous.

L’académicien montra successivement à ses deux hôtes les équipages des beautés en vogue, des célébrités à la mode, des banquiers les plus millionnaires. Il leur fit admirer les lions du jour, caracolant sur leurs aérostats pure vapeur, et lorgnant les femmes accoudées aux balcons des terrasses.

Mais ce que Maurice remarqua avant tout, ce fut la variété des physionomies de cette société d’élite. On retrouvait, chez les uns, les traces du visage mongole au teint de suie et aux yeux sournois ; chez les autres, celles de l’Américain, au front fuyant. Il y avait des traits de Malais olivâtres et de nègres frisés comme les fourrures d’astracan. On trouvait même quelques Caucasiens portant, selon les règles établies pour leur race, l’angle facial ouvert à quatre-vingts degrés et le nez long… à moins qu’ils ne fussent camus !

Ce mélange de types était la conséquence naturelle des progrès des lumières. Tous les sangs s’étaient mêlés. Mais, comme dans une terre abandonnée à elle-même, où les plantes les moins précieuses ne tardent pas à tout envahir, les races les plus déshéritées avaient fini par prévaloir dans les générations successives, et la fraternité générale avait amené la laideur universelle.

Une seule exception frappa Maurice. C’était une femme ; à demi couchée dans un char incrusté de nacre. À la voir glisser légèrement au milieu de l’air, on eût dit cette divinité, à la merveilleuse ceinture, qu’Homère nous représente emportée dans l’espace par ses colombes, et n’ayant qu’à sourire pour que tout frémisse de volupté ! Vêtue d’une tunique de mousseline rayée d’or, elle laissait pendre hors