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sera bien difficile, monsieur Coulant ; vu que nous avons beaucoup voyagé, et que dans les voyages, les papiers, ça s’égare… d’autant que ma femme et moi, quand nous nous sommes mariés, nous avons négligé d’aller à la mairie.

— Ah diable !

— Toujours par raison d’économie. Vous devez comprendre ça, un acte de mariage coûte encore plus qu’un baptême, et dans notre état, on regarde à toutes les dépenses ; faut savoir se priver.

— C’est juste, dit l’abbé en soupirant ; après tout, Dieu a bien pardonné à la femme adultère ! Allons, nous fermerons les yeux, maître Soiffard ; l’Église nationale respecte la vie privée.

— Vrai, s’écria Soiffard ; la voilà la religion de mon choix ! Mille millions, monsieur Coulant, vous êtes un brave homme, et je veux vous payer un verre de vin.

L’abbé eut beaucoup de peine à se défendre de la politesse de son nouveau paroissien, et put regagner la sacristie.

Soiffard le regarda partir, puis, étendant la main vers l’autel, avec la gravité solennelle des ivrognes ;

— C’est dit, murmura-t-il, la religion me vexait quand elle me défendait de boire, de battre la bourgeoise et de vivre à ma fantaisie, mais puisque celui-ci a trouvé un Dieu qui est bon prince, je l’adopte, et à partir d’aujourd’hui, je déclare que moi Narcisse Soiffard, ainsi que la dame Soiffard et la petite, nous faisons partie de l’église ici présente à perpétuité.

À ces mots, il remit son bonnet et sortit en chancelant