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que l’on reçoit avec indifférence la lettre d’un admirateur inconnu ; on achète avec empressement les livres de l’écrivain que l’on n’a jamais vu, et, le jour où il vous les apporte, on cesse de les lire. On songe longtemps aux moyens de se présenter chez un voisin, et s’il fait, le premier, une visite, on se met vite sur la réserve. Il suffit de voir tous les jours l’homme que l’on estime pour n’y plus penser. Quand on le rencontrait une fois par année, on s’informait de ses projets, de ses travaux, de ses idées ; maintenant, on ne s’informe de rien ; il est entré dans le cercle de nos habitudes, il a cessé d’être un but, nous ne le regardons plus !

Étrange nature ! nous ne poursuivons que ce qui nous échappe, nous n’aimons que ce qui nous repousse, et tout ce qui vient nous chercher éveille, à l’instant, notre indifférence !

M. Atout faisait ces réflexions devant son bureau couvert de volumes dont les feuilles n’étaient point encore coupées, bien que les auteurs les eussent apportés eux-mêmes ; de journaux gratuits encore enveloppés de leurs bandes, et de paquets affranchis qui n’avaient point été décachetés.

Au début de la carrière, ces hommages publics eussent enivré le futur académicien ; mais, depuis, l’habitude l’avait blasé sur ces pots-de-vin de la gloire ; aussi les recevait-il avec une nonchalance dédaigneuse. Ce qu’il y voyait de plus clair était la nécessité de répondre aux trois cents envois qui encombraient son bureau.

Car M. Atout savait que l’exactitude était la politesse des gens de lettres comme des rois, et il répondait toujours. Il avait pour cela trois modèles d’épîtres sténographiées, auxquelles il ne restait qu’à mettre l’adresse.