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Une fois les nez rentrés au repos (car dans tout auditoire le nez est la partie turbulente et rebelle), l’oratrice releva la main et reprit :

« Un tel résultat vous éblouit, sans doute ; vous supposez d’avance qu’on ne pourra l’obtenir sans de longs et douloureux efforts ; vous prévoyez quelque combinaison nouvelle et inconnue. Détrompez-vous, sexe aimable dont je fais partie ! le moyen inventé par moi l’avait déjà été il y a deux mille ans par un poète grec nommé Aristophane, mais sans qu’il en comprît toute la portée. Basé sur la nature et l’observation, il dompte l’homme aussi sûrement que la faim dompte le cheval auquel l’écuyer veut apprendre à compter les heures : que le manque de sommeil soumet le chien destiné à jouer aux dominos ; que l’opium et la barre de fer rouge maîtrisent la panthère qui doit devenir artiste dramatique. Vous cherchez ce que ce peut être ? cherchez plutôt quelle est chez l’homme la passion la plus ardente, l’entraînement le plus général, le plus continuel, le plus persistant ; rappelez-vous ce qui fit brûler Troie, ce qui transforma Rome en république ; ce qui, sous les anciennes monarchies, maintenait la faveur des familles nobles ou ennoblissait les familles roturières ? Et si ce n’est point s’exprimer assez clairement, lisez l’explication du poète grec lui-même, traduite pour l’instruction des ignorants, et dont chacune de vous peut emporter un exemplaire. »

À ces mots, Mlle Spartacus fit un signe, et les dames du bureau prirent, dans une corbeille, des imprimés qu’elles lancèrent au milieu de la foule. En un instant la salle fut pleine de feuilles volantes que l’on saisissait au passage ou que l’on transmettait de main en main.

Quelques-unes des feuilles tombèrent dans la loge occupée par Mme Facile et par ses invités, et Maurice reconnut la traduction de la troisième scène de Lysistrata ! Le moyen proposé par la présidente du club des femmes sages était en effet clairement expliqué. Il s’agissait de réduire les hommes par la famine, non la famine de bouche, mais la famine de cœur, comme eût dit le chevalier de Boufflers ! Toutes les femmes devaient se soumettre à une sorte de blocus conti-