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sard, non de la volonté, de ce qui est en dehors de nous, jamais de nous-mêmes. Pour lui, le but n’était point vivre, mais paraître ; sa loi n’était pas le bien, mais la convenance. Pauvre égoïsme gonflé de vanité, qui jouait dans le monde le rôle de ces colosses brodés d’or que l’on place à la tête des régiments, les jours de revue, pour l’admiration des vieilles femmes et des enfants.

Au moment où Prétorien parut avec ses compagnons, il venait d’approcher de son oreille une petite corne d’ivoire qu’il réussit à y maintenir au moyen d’une contraction particulière. La corne d’ivoire passait à Sans-Pair pour le symbole de la suprême élégance ; elle avait renchéri sur le lorgnon. Après avoir trouvé du bon ton d’être myope, on avait trouvé de meilleur ton d’être sourd. C’était une preuve d’inutilité de plus.

Milord Cant avait, en outre, laissé croître ses ongles, à l’exemple des Chinois, afin de constater son oisiveté. Il portait un vêtement de toile de chanvre, qui, vu la rareté de cette dernière production, était un objet de luxe, et, au lieu de diamants, devenus ridicules depuis qu’on les fabriquait comme du verre, des boutons de pierres à fusil, dont toutes les femmes admiraient la beauté.

Le journaliste et lui se saluèrent comme deux rois, dont l’un a conquis sa couronne et dont l’autre l’a reçue ; Prétorien avec une ironie voilée, milord Cant avec une légèreté un peu dédaigneuse.

Quant à madame Facile, elle parut ravie de voir Marthe et Maurice ; elle les fit asseoir près d’elle, voulut entendre leur histoire, et parut plus émerveillée du souhait qu’ils avaient formé que de le voir accompli.

— Connaître l’avenir du monde ! s’écria-t-elle ; et vous