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Corrége, ample et attendri ; celui du Titien, qui semble vous envelopper ; ceux de Carrache, de Léonard de Vinci, de Guide, de Guerchin, d’André del Sarte, tour à tour fougueux, suaves, expressifs ou caressants. Puis viennent les Flamands, à la mélodie moins céleste, mais plus vibrante ; Rubens, dont la forte voix chante, tour à tour, sur tous les tons ; Vandyck, profond et sombre ; l’harmonieux Jordaëns ; le réjouissant Teniers ; Van-Ostade, Ruysdaël, Berghem, Wouvermans, mêlant leurs agrestes pastorales aux cantilènes de Miéris et de Gérard Dow. Puis c’est le tour des Espagnols, avec Murillo au timbre varié, Riberra le hardi, Velasquèz le chevaleresque, Zurbaran le mystique. Enfin, les vieux peintres français : Poussin, Lesueur, Claude Lorrain, Watteau, Lancret, chœur de voix nobles ou charmantes, que l’on entendrait mieux sans leurs successeurs ; car la peinture française aussi avait perdu l’art. Voyez ces dernières toiles, elles ne chantent plus, elles ne parlent même point, elles ne savent que faire entendre des clameurs discordantes ; on dirait qu’elles luttent à qui poussera le cri le plus aigu. De loin en loin, quelques-unes murmurent encore mélodieusement ; mais au milieu du tumulte, on les distingue à peine, ce sont comme des voix d’anges dans le chaos.

— Heureusement que de ce chaos est sorti un nouveau monde, fit observer Prétorien.

— Oui, dit Grelotin en secouant la tête, un monde muet.

— Comment, notre art national ?…

— A perdu la voix, continua l’idiot tristement. Parcourez ces salles, écoutez ces tableaux et ces statues, vous n’entendrez rien. On croit encore voir l’art, et on n’en a que l’apparence. L’art vivant n’est plus parmi nous ; la toile et le marbre ont cessé de chanter.