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Ils arrivèrent à l’enceinte funèbre, autour de laquelle s’étendait un bazar.

— Vous voyez le cimetière à la mode, leur dit Blaguefort ; tous les gens qui savent vivre doivent se faire enterrer ici, sous peine de mauvais ton. À la vérité, rien n’a été négligé par les directeurs de cet établissement mortuaire pour lui conserver sa réputation. Ils ont compris qu’il fallait pleurer les morts de la manière la plus confortable pour les vivants ; aussi le cimetière est-il desservi par trois lignes de voitures nommées les plaintives. La veuve et l’orphelin n’ont qu’à tirer le cordon pour que le conducteur les arrête à la porte de leur défunt. Il y a, en outre, des cabinets particuliers pour les personnes qui désirent pleurer seules, et des marchands d’onguent pour les yeux rouges. Le bazar construit à côté du cimetière renferme tout ce qui peut servir aux trépassés et à leurs survivants, depuis les couronnes d’immortelles en raclure de baleine jusqu’aux chapons à la Marengo. On y trouve même des orateurs funèbres qui, moyennant un prix modéré, se chargent de faire l’éloge du mort, et de souhaiter que la terre lui soit légère ! Celui qui parle dans ce moment et que l’éloignement nous empêche d’entendre, est un des plus employés. Autrefois commissaire-priseur, il a apporté dans ses nouvelles fonctions toutes les ruses de son ancien métier. Selon l’argent qu’on lui donne, il fait monter ou descendre de trente pour cent les vertus des trépassés. Du reste, voici la cérémonie achevée, et nous n’avons plus qu’à prendre congé du frère du défunt qui a conduit le deuil.

Ils voulurent approcher de ce dernier, qui venait de saluer les assistants et qui allait gagner une autre porte du cimetière, mais ils le trouvèrent déjà assailli par une mul-