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— Avez-vous entendu ? murmura Manomane, qui se pencha vers son confrère ; les fous se devinent ! Laissons-les ensemble, et vous verrez.

Les hommes s’éloignèrent en continuant leur examen, tandis que la jeune fille et Marthe commençaient un de ces entretiens où les âmes, devenues subitement confiantes, s’élancent ensemble à travers la fantaisie, comme deux enfants qui se prennent par les mains et courent devant eux dans la campagne.

Rêveuse parla de sa mère, qu’elle avait à peine connue, et elle pleura ; puis elle montra à Marthe les fleurs qu’elle cultivait, et elle poussa des cris de joie de les voir écloses. Elle raconta en soupirant ses tristesses, et en souriant ses joies. Les flots de ce cœur montaient et descendaient pareils à ceux de la mer, tantôt sombres comme un abîme, tantôt étincelants au plein soleil de l’espoir !

Marthe écoutait ravie, suivant tous les mouvements de cet esprit, comme on suit les mouvements de l’enfant qui marche sans but ; elle cherchait en vain la folie et ne trouvait que les caprices d’une imagination flottante et jeune.

Cependant Rêveuse avouait cette folie, elle la sentait ; elle ne pouvait en parler sans qu’on vît les larmes briller sous ses longs cils bruns ; elle croisait les mains sur sa poitrine avec la résignation plaintive des enfants, et tous ses élans d’espérance s’arrêtaient brusquement devant ce cri :

— Je suis folle !

— Folle ? répétait Marthe incrédule ; qui vous l’a dit, d’où le savez-vous, quelle en est la preuve ?

— Hélas ! ma vie entière ! répondait Rêveuse. Jamais mes pensées n’ont été celles des autres ; jamais je n’ai partagé leurs bonheurs ni leurs affections. Toute petite, je pré-