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pagnement de clarinettes et de vielles organisées. Puis venait l’estaminet, dont les habitués fumaient le narguilé à bec d’ambre, étendus sur des divans de velours ; le billard garni de queues à procédés, et la galerie de consommation, où l’on servait, d’heure en heure, aux condamnés, des sorbets, du vin chaud ou des punchs à la romaine.

Le soir il y avait spectacle ; puis, bal masqué sans gardes municipaux.

Ainsi que M. le Doux l’avait annoncé, les visiteurs trouvèrent les Pentagruélistes à table. Ils dînaient, à trois services, de petits pieds et de primeurs, avec dessert, café et liqueurs fines.

— Vous le voyez, dit le philanthrope, en souriant, le système de moralisation est ici tout contraire. Là-bas, nous améliorons le coupable en lui ôtant le nécessaire, ici nous atteignons le même but en lui prodiguant le superflu. Chaque méthode a son avantage, et les résultats sont, des deux côtés, également satisfaisants. Chez les Trappistes, nous obtenons la soumission en atténuant l’homme ; chez les Pentagruélistes en le comblant. Celui-là perd l’énergie nécessaire pour échapper à la captivité, celui-ci y est retenu par le lien du plaisir. Il n’y a point encore d’exemple d’un Pentagruéliste qui ait essayé de fuir sa prison, et la plupart ne la quittent qu’en pleurant. Aussi a-t-on soin de compter à chaque libéré, pour adoucir ses regrets, une somme proportionnée au temps qu’il a passé en prison, de sorte que les grands bandits sortent d’ici électeurs et souvent éligibles. Quelques esprits chagrins ont blâmé cette générosité envers des condamnés ; mais, ainsi que je l’ai fait observer dans mon dernier rapport, ces scélérats n’en sont pas moins nos semblables. Homo sum et nihil humani a me