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Les trois cents jours s’écoulèrent ainsi pour lui dans une sorte de sommeil éveillé, et quand la châtelaine aperçut l’archange Michel, elle s’écria :

— La condition imposée a été remplie, il a gagné sa place dans le ciel ; venez donc, maître, et, sans plus de retard, emportez son âme.

Mais l’archange secoua tristement la tête, et dit ;

— Hélas ! pauvre mère, il n’y en a plus. On n’enlève point les pierres qui composent une maison, sans que la maison croule. Ce que le docteur arabe a enlevé à votre fils formait l’âme elle-même, dont il a fait don à Satan ; il ne vous a laissé que le corps !

Cette légende est l’histoire de ceux qui ont élevé votre prison. Sous prétexte de racheter le coupable, vous lui avez frauduleusement soutiré son âme ! Depuis quand l’amélioration de l’homme peut-elle venir de la destruction de ses instincts ? Si ces malheureux ont failli, c’est que la sociabilité n’était point assez développée chez eux, et vous les condamnez à la solitude ; c’est que les bonnes passions étaient plus faibles que les mauvaises, et vous les égorgez indifféremment toutes ; c’est que leur raison n’avait pas assez mûri au soleil de l’expérience, et vous la condamnez à l’inaction ! Dans les premiers siècles, on réduisait un ennemi à l’impuissance, en coupant les muscles de ses membres avec le fer ; vous avez perfectionné le moyen ; vous coupez aujourd’hui les muscles de l’âme avec l’ennui, et, parce que ces énervés ne bougent plus, vous les déclarez guéris ! Mais qu’en ferez-vous, après une pareille guérison ? À quoi peuvent servir des hommes qui ont perdu leur personnalité, qui ont oublié à vouloir, que vous avez réduits à l’état d’animaux domestiques, vivant sous l’œil du maître ? Où vous