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térieuse, il se savait toujours vu sans pouvoir jamais voir.

M. le Doux expliqua à Maurice tous les avantages de ce système perfectionné de confinement solitaire.

— Par son moyen, dit-il, nous faisons fléchir les plus énergiques natures. Muré dans l’obscurité et le silence, le captif résiste d’abord, mais il se roidit en vain ; l’ennui, comme une eau souterraine et croupissante, mine insensiblement sa volonté. Il sent ses muscles se détendre, son sang se refroidir. L’immobilité de ce qui l’environne finit par se communiquer à tout son être ; il s’épouvante du vide qui s’est fait autour de lui ; il regarde et ne voit que les murs de sa prison ; il appelle et n’entend que sa propre voix ! Quelques-uns ne peuvent résister à cette épreuve, et deviennent fous, mais c’est le petit nombre ; la plupart s’assoupissent dans une espèce de torpeur. Sûrs que leurs moindres actions seront épiées, n’ayant plus la possession de leur propre pensée, ils y renoncent. Le règlement devient leur conscience, l’habitude se substitue au désir ; ils oublient jusqu’à leur langue ; ce ne sont plus que des animaux domestiques, obéissant d’instinct à la règle de la maison. On a effacé leurs souvenirs, éteint leurs passions, coupé au pied leurs espérances ; il y a désormais table rase dans ces esprits ; notre but est atteint. Devenus, grâce à nous, des idiots, il ne leur reste plus qu’à être instruits et moralisés !

— Hélas ! je le vois, dit Maurice, vous avez fait pour les hommes, ce que la châtelaine de Valence avait voulu faire pour son fils. La châtelaine de Valence était une sainte femme restée veuve avec un seul enfant pour lequel elle eût donné jusqu’à sa part de paradis. Mais l’enfant, dont le sang brûlait les veines, s’échappait souvent du château, où