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écru en lambeaux. Le menton appuyé à ses deux mains que soutenait un bâton de bambou, et les lèvres entrouvertes par ce vague sourire des vieillards, il tenait les yeux baissés vers un chien roulé à ses pieds, et qui, la tête à demi soulevée, le contemplait en agitant légèrement la queue. Il se faisait évidemment entre eux un de ces échanges d’amitié et de souvenir qui n’ont besoin, pour se poursuivre, que du regard et du sourire. Le vieux maître et le vieux serviteur s’entendaient.

Cette intimité était même l’objet des débats.

Trop faible et trop vieux pour vivre encore de son travail, le paysan avait dû recourir à la charité légale. Après cinquante années de fatigues, de probité et de patience, la société eût pu le laisser mourir au revers de quelque fossé, comme une bête de somme hors de service ; mais la philanthropie était venue à son secours ; elle lui avait ouvert un de ces asiles, où l’on accorde gratuitement aux invalides du travail, ce qu’il faut de paille et de pain noir pour faire attendre la mort.

Malheureusement le vieillard avait essayé de partager avec son chien, et l’administration s’y était opposée. On avait voulu enlever au paysan son compagnon, il avait résisté, et cette résistance l’amenait devant les juges.

L’avocat général prit la parole pour l’administration.

Il fit d’abord l’énumération des services rendus par la société humaine, dont il avait l’honneur d’être membre. Après avoir signalé le nombre toujours croissant de ses asiles, comme un indice incontestable de la prospérité nationale, il annonça avec une haute satisfaction, que la dépense occasionnée par leurs pensionnaires venait d’être réduite de moitié, grâce à un moyen, aussi simple qu’ingé-