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Un peu plus loin, nos promeneurs rencontrèrent le grand dock, où arrivaient les produits de toutes les mines connues. Un système de canaux souterrains, alimentés par les eaux des mines elles-mêmes, reliait celles-ci l’une à l’autre, et permettait aux exploitations de se prêter un secours mutuel. On voyait arriver dans le bassin de Sans-Pair, par mille voûtes sombres, des barques chargées des différents minéraux arrachés à la terre, et conduites par des hommes de toutes races et de tous costumes. Ici, c’étaient les Chinois avec du plomb et de l’étain ; là, des Espagnols avec le mercure ; plus loin, les Siciliens transportant le soufre de leurs volcans, les Américains riches en or, les Anglais noirs de houille, les Africains chargés de bitume, et les peuples du Nord amenant le cuivre, le fer et le platine. La facilité et la fréquence des communications avaient ainsi mêlé toutes les nations, sans qu’une association fraternelle fût venue les confondre. Chacune avait perdu son caractère, et n’avait point adopté celui des autres. Ces physionomies effacées ressemblaient aux monnaies usées par le frottement, qui, bien que dépouillées de leur empreinte, restent différentes par le métal. À force de regarder le monde comme une grande route, chacun avait perdu le sentiment de la nationalité ; on n’avait plus de ville, plus de foyer, partant plus de patrie ! Les lieux n’étaient que des points d’appui, auxquels on abritait sa vie un instant, comme on accroche une montre au mur d’une hôtellerie.

Maurice commençait à communiquer ces réflexions à son conducteur, lorsqu’il fut interrompu par milady Ennui, qui se trouvait lasse et voulait rentrer. Ils remontèrent, en conséquence, dans la calèche volante, et regagnèrent l’hôtel de l’académicien.