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Mais Maurice et Marthe n’écoutaient plus, car ils venaient d’apercevoir l’enseigne du magasin-monstre : le Bon-Pasteur ! Leurs regards s’étaient aussitôt cherchés, leurs lèvres avaient murmuré, en même temps, le nom de mademoiselle Romain, et tous deux étaient devenus subitement rêveurs !

C’est que ce nom avait réveillé chez eux le souvenir de tout un autre monde ; un de ces souvenirs qui vous attendrissent comme la vue du vieux foyer, sur lequel vous écoutiez les histoires de la nourrice, du petit jardin où vous plantiez des rameaux d’aubépine, de la borne qui servait de siège au mendiant avec lequel vous partagiez votre pain de l’école ! Et cependant, mademoiselle Romain n’avait été ni une parente, ni une compagne de jeux ; mademoiselle Romain n’était qu’une vieille voisine, mercière à l’enseigne du Bon-Pasteur !

Mais aussi, quelle voisine ! et comment l’oublier ? Qui pouvait l’avoir vue, au fond de sa petite boutique obscure, sans se rappeler sa haute chaise à patins, sa chaufferette de terre, ses grandes aiguilles à tricot, et son visage souriant, sous les rides de la laideur.

Car Dieu, qui avait été sévère pour mademoiselle Romain, l’avait fait naître pauvre, maladive et disgraciée ! Elle eût pu se plaindre de la part qui lui avait été faite ; elle aima mieux y chercher le peu de bien qui s’y trouvait caché ! Son indigence lui interdisait les plaisirs, elle l’accepta comme une sauvegarde contre les excès ; ses souffrances étaient sans trêve, elle y trouva un utile enseignement de patience ; sa laideur lui ôtait l’espoir d’être aimée, elle s’en dédommagea en aimant les autres !

Puis, Dieu n’avait point été pour elle sans pitié ! À défaut