Page:Souvestre - Au bord du lac, 1852.djvu/78

Cette page a été validée par deux contributeurs.
65
le serf.

les plus importants, tels que ceux de se faire réciproquement la guerre, d’établir l’impôt sur leurs terres, et de rendre la justice.

Ce dernier privilège, le plus redoutable de tous, leur donnait, par le fait, droit de vie et de mort sur leurs gens ; car leurs arrêts sans contrôle n’étaient le plus souvent que l’expression de leur colère ou de leur clémence : la passion jugeait et faisait elle-même exécuter ses sentences.

On comprend, d’après un tel état de choses, quelle dut être l’inquiétude de Catherine et de Thomas Lerouge lorsqu’ils virent emmener Jehan. Messire Raoul était connu pour un homme emporté, qui condamnait sans rien entendre et revenait rarement sur ses jugements. Or il était à craindre que maître Moreau n’en profitât pour perdre Jehan, car son astuce égalait sa méchanceté.

Catherine courut chez le collecteur pour le supplier d’intercéder en faveur de son cousin ; mais le collecteur refusa de se mêler d’une affaire qui pouvait le compromettre sans profit. Il en fut de même du prévôt, qui craignit de faire renvoyer son cheval, mis au vert dans les prairies de monseigneur par la protection de maître Moreau, et du notaire, qui objecta que l’intendant pouvait lui faire retirer les actes du château.

Catherine s’en revenait pour porter ces mauvaises nouvelles à Thomas ; elle suivait la lisière des blés le cœur gros et les yeux rouges, lorsqu’elle aperçut