Page:Souvestre - Au bord du lac, 1852.djvu/234

Cette page a été validée par deux contributeurs.
221
l’apprenti.

aux recommandations de la mourante. Non-seulement il avait aidé François de ses conseils, mais il n’avait cessé de s’imposer mille privations pour lui. Maintenant, hélas ! il voyait que ses sacrifices étaient inutiles et qu’il y a des âmes qui échappent à tous les liens. Ces réflexions l’attristaient profondément. Contre son ordinaire il n’attendait point avec impatience qu’Odile Ridler eût allumé sa petite lampe afin de continuer sa lecture, et, dominé par ses inquiétudes, il se promenait dans les étroites allées du jardin.

Tout à coup, une voix bien connue qui l’appelait d’un ton précautionneux se fit entendre à quelques pas. Frédéric se retourna vivement et aperçut François, dont les vêtements en lambeaux, la figure hâve et fatiguée annonçaient assez comment il avait dû vivre depuis sa disparition.

Son frère le regarda quelque temps avec une expression de tristesse et de pitié ; mais, découragé par cette vue et ressentant la crainte délicate qui vous rend embarrassé devant la faute d’autrui, il n’eut pas la force de lui faire une question.

François, que son caractère insouciant mettait à l’abri de ces pudeurs, fut le premier à rompre le silence.

— Tu me trouves bien changé, n’est-ce pas ? lui demanda-t-il d’un ton qui indiquait plutôt la contrariété que le remords, mais, dame ! je n’ai pas voyagé au pays de Cocagne, depuis que je t’ai quitté ; et je me suis couché plus d’une fois sur ma faim.