Ils trouvèrent ce dernier assis avec d’autres gens de guerre devant une table couverte de coupes et de hanaps. C’était un homme d’environ quarante ans, un peu replet, mais tanné par le soleil et la bise. Il avait le front bas, le regard hautain, et ces lèvres minces qui indiquent l’avarice et l’insensibilité.
Au moment où les deux prisonniers parurent, il tendait à son écuyer une large coupe de vermeil.
— Verse, s’écriait-il, ce sont les juifs qui payent la benoîte liqueur.
— À condition qu’on leur en rende le prix au centuple, fit observer un des convives.
— De fait, c’est une honte que tout l’or de la noblesse aille enrichir cette immonde engeance, continua un second ; leurs escarcelles sont pleines de nos promesses et cédules.
— Sans compter qu’ils osent nous menacer de la justice ! ajouta un troisième.
— À qui le dites-vous ? reprit le gouverneur ; n’ont-ils pas écrit au roi pour que j’aie à payer ce qui leur est dû ?
— Et vous ne nous délivrez pas de ces loups ravisseurs, messire ?
Le gros homme cligna des yeux.
— Patience, patience, dit-il, on trouvera un moyen de leur faire donner quittance de toute dette, et cela sans beaucoup attendre ! Buvons toujours, vous dis-je, avec courage et sans autre inquiétude pour le présent.