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au bord du lac.

sons, les pâturages de troupeaux, les routes d’attelages. Des hommes à l’air sérieux et libre vous croisent en vous souhaitant la bienvenue ; des femmes d’une beauté calme sourient chastement à votre passage ! Partout vous trouvez la bienveillance aisée et digne, nulle part la servilité. Vous sentez que vous êtes en pleine Lorraine, au milieu de cette population saine, courageuse et sympathique, dans laquelle se retrouve à la fois la nature de la femme et la nature du soldat.

À l’époque où se passent les faits que nous allons avoir à raconter, les longs malheurs qui accompagnèrent la démence de Charles VI avaient altéré, là comme partout, le caractère des hommes et l’aspect des choses. Beaucoup de champs se trouvaient en friche, les routes étaient devenues impraticables. Presque chaque jour le beffroi du château venait porter l’effroi dans la vallée, en annonçant l’approche d’un corps ennemi. Les paysans se hâtaient de réunir leurs troupeaux, d’entasser sur des chariots leurs meilleurs meubles, et de gagner la citadelle où ils trouvaient un asile momentané. Mais ces dérangements amenaient toujours quelque perte ; la gêne venait, puis le découragement, puis la misère !

Les dissensions ajoutaient encore à ces malheurs. Chaque village tenait pour un parti différent, et les voisins, loin de se secourir, ne cessaient de se combattre et de se nuire. Les uns s’étaient déclarés pour les Armagnacs et pour le roi de France Charles VII, les autres pour les Anglais et pour leurs alliés les