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cilité ; mais je n’ai fui, mon père, que pour éviter un plus grand malheur. Le drapier oubliait que j’étais un homme racheté comme lui avec le sang du Christ, et il voulait me traiter comme l’intendant de Rillé. Je l’ai quitté afin de ne pas lever la main contre celui dont j’avais mangé le pain.

« Ne m’accusez donc pas. Catherine, qui vous lira cette lettre, comprend bien, elle, pourquoi il m’est impossible de supporter les coups : les coups sont pour les animaux auxquels on ne peut se faire entendre autrement ; mais ils ravalent un homme au niveau de la brute. Pour tout être qui pense il ne doit y avoir d’autre fouet que la parole, d’autre aiguillon que le devoir.

« Je suis aujourd’hui à Paris ! Ce seul mot de Paris vous dit beaucoup, mon père, et cependant il ne peut vous dire la centième partie de ce qu’il contient.

« Paris est une ville où les maisons sont entassées comme les pierres dans la carrière, où les palais, les cathédrales, les châteaux-forts sont semés aussi nombreux que les bluets dans vos blés. Là il y a comme deux cités séparées par la Seine : d’un côté tout est vêtu de noir, tout parle, gesticule, étudie ; c’est le quartier des écoles ! de l’autre sont les habits éclatants, les chaperons de mille couleurs, les litières et les cavalcades ; c’est le quartier de la noblesse et de la bourgeoisie !

« Quoique la ville soit pavée, les pauvres seuls la