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le serf.

— N’importe, dit le jeune serf… je ne puis rester.

— Pourquoi ça ? As-tu peur des écailles qui me couvrent le visage, et de l’ulcère qui me ronge les bras ? demanda le lépreux. On peut alors renoncer pour ce soir à ces agréments.

Et prenant un linge, il fit disparaître les traces hideuses dont il était couvert.

Jehan ne put retenir une exclamation.

— Comme tu le vois, ma ladrerie est facile à guérir, reprit le faux malade en riant. Demain je la reprendrai pour faire ma tournée d’aumônes.

Et comme Jehan demeurait toujours sur le seuil :

— Allons ! ne vois-tu pas que tu n’as rien à craindre ? reprit-il ; ferme cette porte et prends un escabelle ; je veux te faire voir comment vivent les ladres qui connaissent leur métier.

À ces mots, il avança une table devant le foyer, y plaça un reste de langue fourrée, du porc frais, des fruits, et son barillet encore à moitié plein ; puis, forçant Jehan à s’asseoir en face de lui, il commença à souper avec un appétit d’écolier.

— Ainsi vous avez consenti à feindre une maladie qui vous sépare à jamais des vivants ? dit Jehan, qui regardait le faux lépreux avec un étonnement mêlé d’horreur.

— Par la raison que cette maladie me donnait de quoi vivre, tandis que ma bonne santé me laissait mourir de faim, répondit celui-ci. Tel que tu me vois, j’ai été tour à tour valet de meute, batelier, labou-