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réalité, où tous les rêves semblent possibles, et l’expérience ne lui avait point encore appris que chaque être doit subir la loi de la société dont il fait partie.

Mais s’il ne pouvait s’accoutumer à la vie du couvent, celle qu’il menait lui déplaisait encore davantage ; aussi le drapier ne tarda-t-il point à s’apercevoir que son apprenti montrait peu de dispositions. Jehan ne pouvait d’ailleurs consentir à employer les ruses traditionnelles. Il vendait comme s’il eût été au confessionnal, disant : — Ceci est bon, ceci médiocre, ceci mauvais. Maître Laurent entrait parfois dans des accès de colère qui s’exprimaient par des injures de tout genre. Enfin, un jour que Jehan avait échangé des monnaies anciennes contre des nouvelles[1], le drapier s’emporta jusqu’à le frapper. Le parti du jeune homme fut pris aussitôt ; il quitta la boutique, courut à la Loire, et apercevant une grande barque qui passait, il se jeta à la nage pour la rejoindre.

Les mariniers le reçurent bien et consentirent à le conduire jusqu’à Blois, où ils se rendaient.

Leur barque transportait dans cette ville des canons et couleuvrines composés de plusieurs morceaux joints et cerclés comme des douvelles de tonneaux, selon l’usage du temps. C’était la première fois que Jehan voyait ces armes nouvellement en usage, et il en fut singulièrement surpris. Le patron de la barque

  1. La valeur intrinsèque de celles-ci était beaucoup moindre que celle des monnaies anciennes, quoiqu’elles eussent la même valeur nominale.