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génie, le saint. Dans un récit moderne, qui émane sans doute de quelque vicaire campagnard, un jeu de cartes est transformé en livre de messe.

Les mythes évoluèrent d’autant plus aisément que, sur bien des points, ils se rencontrèrent dans leur champ d’activité avec les enseignements de la religion récente. En dévoilant d’inexplorés aperçus aux imaginations, le merveilleux chrétien contentait le besoin d’aventures et renouvelait la variété des épisodes. La pitié pour le faible et la sympathie pour l’animal rentraient dans la philosophie et dans la poésie du Christ : après la métempsycose utilitaire, les doctrines de l’amour sans arrière-pensée. Une combinaison du conte et de la légende était dès lors naturelle. Puis, quand les persécutions et le mysticisme eurent environné d’auréoles les fronts des martyrs et des ascètes, le merveilleux chrétien s’affranchit de toute infiltration étrangère, et il créa d’innombrables légendes que les moines du Moyen Âge embellirent, en les transcrivant sur parchemin. Parmi ces légendes, les unes — celle de saint Éloi, par exemple — sont répandues dans toute la chrétienté ; mais d’autres ont une provenance exclusivement locale, et la flore de la Basse-Bretagne est, à cet égard, des plus riches et des plus odorantes. Saint Léonore ayant entrepris des défrichements sur les bords de la Rance, ses compagnons fabriquèrent six charrues et six jougs auxquels on attela douze cerfs, à défaut de bœufs. En appliquant sur une plaie une feuille de lierre trempée dans l’eau bénite, saint Maclou guérit un homme mordu par un serpent. Ces deux traits, extraordinaires à en croire les hagiographes, rappellent tout simplement au fond la domestication des animaux sauvages, et l’emploi des procédés thérapeutiques ; car le moine tenait à la fois du prêtre, de l’agriculteur et du médecin. Les bons religieux voyaient d’autant plus aisément des prodiges qu’ils prêchaient pour leur propre cause en glorifiant leurs devanciers. Ils ne se bornèrent pas à dorer la réalité ; cédant à une influence romaine ou tombant dans une confusion causée par l’analogie des noms, ils latinisèrent à plaisir les saints auxquels ils prêtaient des prodiges : saint Gily fut travesti en saint Gilles, saint Alar en