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dienne de la vie ! La joie de se sentir inondée de lumière, caressée de souffles, enivrée de parfums ! Le rayon de soleil même y passe, il est à moi, je le possède. Je possède la fleur qui me rit de toute sa splendeur ; l’allégresse des choses ambiantes me pénètre, c’est la joie. Je communie avec tous les êtres, ma voix se mêle à toutes les petites voix qui célèbrent le Créateur. Hosanna ! ! Je vis !… Je vis, mais ce n’est pas la vie totale. Je veux plus, je veux tout ; je veux les âmes, je veux l’amour. La musique me parle de ce que je veux, elle ne me le donne pas. Elle avive mes désirs et me fait sentir l’inanité de tout ici-bas. Oh ! que les mots sont vides pour exprimer toutes ces choses ! C’est une nostalgie affreuse.

Comment un musicien peut-il être athée ? Pour moi, cela le classe ; il n’est pas parmi les grands. Ceux-ci sont trop près de Dieu pour le nier. Les Bach, Beethoven, Franck, etc. étaient des croyants ; ils ne furent jamais mieux inspirés que quand ils ont cherché à traduire leurs émotions pieuses :

La messe en si, la Passion.

La messe en ré.

La 9e symphonie.

Les Béatitudes.

Rédemption, etc…

Voyez à quoi aboutit le matérialisme en art : la musique se fait l’écho des bruits de la nature. Elle chante le vent dans les arbres, elle murmure avec la source, elle gronde avec les flots, etc. Je n’ai pas besoin de tout ça, moi j’aime mieux ces bruits au naturel. Que leur traduction musicale intervienne discrètement pour un effet à produire, c’est bien ; mais repousser pour cette fin puérile le monde infini des sentiments, quelle niaiserie !

Couper les ailes de l’aigle et le faire barboter comme un canard sous prétexte de réalisme…


En musique, l’harmonie correspond à la couleur en peinture, aux matériaux de construction en architecture. Un Debussy emploie les matériaux les plus précieux, des gemmes brillantes et pâles, mais ses constructions n’ont ni plan ni grandeur. C’est un délicieux illustrateur de petites choses courtes. Le musicien qui aura cette qualité de sensibilité avec de la grandeur d’âme, de l’ardeur et le génie de la composition sera très grand. Où est-il ?

La vérité, elle, n’évolue pas ; c’est notre intelligence qui s’en assimile ce qu’elle peut, au cours des âges.

L’intelligence, don divin, est cependant soumise au libre arbitre de l’homme. Il peut la traîner dans les bas fonds, la prostituer,