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sophie kovalewsky.

qu’on frappe à la porte, et sous un prétexte quelconque paraît l’insupportable Ilia. Je sais parfaitement que le prétexte est imaginaire, et qu’il ne vient que par curiosité, et pour voir comment mademoiselle est punie : il a l’air fort indifférent, fait son affaire sans se hâter, et comme s’il ne remarquait rien, mais en quittant la chambre, il me jette un coup d’œil moqueur. Je le hais !

Je reste là, si tranquille que mon père m’oublie parfois, et je suis trop fière pour demander pardon. Enfin la mémoire lui revient, et il me renvoie avec ces mots :

« Eh bien, va-t’en, mais ne fais plus de sottises. »

Il ne comprend rien à la torture morale subie par sa petite fille pendant cette demi-heure ; il serait effrayé sans doute s’il avait pu regarder le fond de cette âme, mais cet incident désagréable et enfantin s’efface vite de sa mémoire. Et moi, je quitte son cabinet avec une angoisse si peu enfantine, avec l’impression d’une injure si gratuite, que, sauf deux ou trois douloureuses exceptions, la vie ne m’a guère infligé ensuite de minutes plus pénibles.

Je rentre dans ma chambre d’étude, très calmée et très douce. Mon institutrice est ravie du résultat de sa méthode pédagogique, car je reste tranquille et réservée pendant plusieurs jours, et ma conduite la satisfait pleinement : elle serait moins satisfaite si elle savait la trace laissée dans mon âme par cette humiliation.

Le sort de mon institutrice n’est guère plus heu-