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sophie kovalewsky.

obscurité. Mon père est assis à son bureau, et, tournant le dos à la porte, ne me voit pas.

« Mais qui donc est là ? Qu’y a-t-il ? répète-t-il impatienté.

— C’est moi, papa ; Marguerite Frantsovna m’a envoyée ! »

Ma réponse est accompagnée d’un sanglot.

Mon père commence à comprendre.

« Ah ! ah ! tu as fait quelque nouvelle sottise ! dit-il en cherchant à donner une inflexion sévère à sa voix. Eh bien ! raconte, que s’est-il encore passé ? »

Et me voilà faisant un rapport contre moi-même, avec force larmes et beaucoup d’hésitations.

Mon père écoute, distrait. Ses notions sur l’éducation sont très élémentaires, et toute sa pédagogie consiste à la considérer comme une affaire « de femmes », pas « d’hommes ». Naturellement il n’a aucun soupçon du monde intérieur, très compliqué, qui existe dans la tête de cette petite fille, debout devant lui, attendant sa sentence. Tout occupé de ses affaires « d’homme », il n’a même pas remarqué que je ne suis plus l’enfant joufflue d’il y a cinq ans.

Il éprouve visiblement un certain embarras à me parler, et à prendre un parti convenable dans le cas présent : ma faute paraît de peu d’importance, mais il est pénétré de l’idée qu’il faut être sévère pour élever des enfants. Il en veut, au fond, à l’institutrice de n’avoir pas arrangé une chose si simple sans m’envoyer à lui ; mais puisqu’elle a tant fait que de recourir à son intervention, il doit exercer son auto-