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notre vie de campagne.

me prenant par la main, ou plutôt me traînant à travers une longue suite de chambres jusqu’à la porte du cabinet, elle m’y abandonne à mon malheureux sort, et retourne chez elle.

Pleurer devient inutile : d’ailleurs, j’aperçois déjà dans l’antichambre qui précède le cabinet, un domestique oisif et curieux, qui suit tous mes mouvements avec un intérêt insultant.

« Vous voilà encore en faute, mademoiselle. »

C’est derrière mon oreille, la voix tout à la fois sympathique et railleuse du valet de chambre de papa, Ilia.

Je ne daigne pas répondre ; je cherche à prendre un air dégagé, comme si je venais de mon plein gré chez mon père. Je n’ose cependant rentrer dans la chambre d’étude sans avoir rempli les ordres de mon institutrice et en compliquant ma faute d’une désobéissance notoire ; mais rester là, en butte aux plaisanteries d’un laquais, est intolérable. Il ne me reste plus qu’à frapper à la porte et à braver courageusement le destin.

Je frappe, mais très doucement. Quelques minutes se passent, qui me semblent des siècles.

« Frappez plus fort, mademoiselle, votre papa n’entend pas », fait remarquer l’insupportable Ilia, qui s’amuse évidemment beaucoup.

Je frappe encore une fois, il le faut bien.

« Qui est là ? » dit enfin, de son cabinet, la voix de mon père.

J’entre, mais je reste sur le seuil, dans une demi-